Portée comme Ophélie sur les eaux endormies...

Une installation fantômatique autour de la figure d'Ophélie

Dans cette installation, l’image évanescente d’Ophélie se découvre comme par magie, une apparition surprenante, dont les contours subtils sont le fruit du mariage de la lumière et de l’eau. Le public ne voit d’abord qu’une grande surface de verre, avec toute une myriade de gouttes transparentes. Ce n’est que dans un deuxième temps que l’on découvre derrière l’ombre portée sur le mur. Chaque goutte absorbe la lumière et trace au mur un point noir. C’est l’ensemble de ces points qui forme la trame d’une l’image photographique, toute en nuances. Celui du pâle visage d’Ophélie, que l'on dirait endormie.

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L’installation fait apparaître l’image d’Ophélie tel un spectre fragile, en noir et blanc, sur le mur. Une apparition très douce, flottante, entre la vie et la mort, entre l’air et l’eau. À la manière des ondines, elle se refuse à accepter chacun de nos petits renoncements quotidiens, et son fantôme revient parfois aux abords des rives...

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L’image obtenue à partir des gouttes n’est pas inscrite dans la matière, puisqu’il ne s’agit que d’une ombre portée, et pourtant elle n’est pas non plus numérique… C’est une image fugace, mouvante, instable, fragile, que l’on peut faire bouger ou que l’on peut dédoubler en jouant sur la source lumineuse… Chaque goutte de la plaque de verre est semblable à une goutte d’eau transparente, et chaque goutte d’eau porte une information spécifique: c’est en réunissant toutes leurs ombres que l’on peut reconstituer l’image d’Ophélie. Une représentation fantomatique et mystérieuse de ce personnage tragique shakespearien. Ophélie a la beauté virginale d’une jeune fille pure et délicate qui sombre dans la folie suite à l’abandon d’Hamlet et du meurtre de son père, et meure noyée dans le fleuve. Elle a inspiré de nombreux auteurs romantiques, dont Arthur Rimbaud et son fameux poème « Ophélie », qui la représentent semblable à une beauté endormie portée par les eaux sombres.

Il existe de nombreuses représentations du personnage d’Ophélie par les peintures du 19ème siècle, et les photographies qui y font actuellement encore allusion sont innombrables. Elle porte bien sûr les dimensions d’une héroïne tragique, dont le destin exprime son mal de vivre. Celui d’une femme rêveuse et solitaire, incomprise et en butte à un monde hostile. La jeune femme, en outre, est toujours représentée dans une symbiose totale avec la nature. Étendue sur l’eau, Ophélie flotte entre sommeil et mort, blanche, s’enfonçant doucement dans les eaux noires, calmes mais profondes. Les poètes Rimbaud et Appolinaire on également participé à ce fantasme autour d’Ophélie, développant même une véritable «ophélisation» dans leurs écrits, selon le néologisme qu’a utilisé Gaston Bachelard dans son essai sur L’Eau et les rêves. Des eaux qui sont féminines, maternelles; Elles nourrissent, abreuvent, purifient… mais il faut aussi s’en méfier. Les eaux dormantes, celles qui portent Ophélie, tuent ceux qui s’y fondent et plongent trop profond. Et ne les rend qu’une fois morts, devenus corps dormants, eux aussi, à jamais…
La jeune fille qui disparaît à la fleur de l’âge dans les profondeurs de la nuit, pour ne réapparaître que sous la forme d’un fantôme qui vient nous hanter est un caractère récurant de nos imaginaires collectifs... Les dames blanches se montrent ainsi un peu partout dans les légendes d’Europe et d’Amérique du nord... Spectres hantant les châteaux ou auto-stoppeuses fantômes, entités surnaturelles, fées, sorcières, lavandières de la nuit. Nos légendes urbaines la personnifient en une auto-stoppeuse fantôme qui, montée à bord de votre véhicule, disparaît en poussant un cri à l’approche d’un passage dangereux.
Dans Hamlet, Ophélie est telle une sirène, une créature née dans l’eau et faite pour y vivre. Après la mort, boueuse, elle deviendra fantôme. Un fantôme, très doux, qui passe avec la mélancolie des abords des rivières sombres, dans les vers de Rimbaud, personnage romantique par excellence.

Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis.

« Le complexe d’Ophélie », in L’Eau et les rêves, Essai sur l’imagination de la matière, Le Livre de Poche, « Biblio essais », 1994 (1942), p. 95-108.